A l’heure où le cheveu afro s’est démocratisé, devient de plus en plus monnaie courante dans la vie quotidienne comme dans le paysage audio-visuel, une opposition s’est faite entre le port des cheveux afro naturels et le port des perruques. Pour beaucoup, porter ses cheveux afro revient à les porter dans leur état naturel et surtout pas avec des artifices renvoyant au paradigme du cheveu lisse. La valorisation du cheveu afro s’étant faite à travers le mouvement du retour au naturel, c’est-à-dire arrêter de lisser ses cheveux avec des produits chimiques, c’est tout naturellement que beaucoup associe le retour au naturel au rejet des normes de beauté euro-centriques du cheveu long et lisse. Or, pour la plupart des perruques (la vision qu’à le public d’une perruque), elles sont la personnification de ces normes, elles sont lisses et longues. Cela contraste donc fatalement avec la nature du cheveu afro qui est en grande majorité crépu, bouclé, ondulé et pas toujours long et fluide lorsqu’il est au naturel. Mais faut-il forcément associer le port d’une perruque aux conséquences de la relation dominant dominés des peuples blanc et noir ?
Porter un faux cheveu devrait-il être vu comme un rejet de soi ? C’est en réalité une continuité des pratiques ancestrales capillaires datant de l’Égypte ancienne. D’après Juliette Smeralda, Docteure en Sociologie et auteure de plusieurs ouvrages sur le cheveu afro, les cheveux d’appoint dont font partie les perruques, sont une esthétique capillaire propre aux Africains d’avant et de maintenant. Ces pratiques ont été continuées dans nos temps modernes jusqu’aujourd’hui. La perruque commence son histoire dans la culture afro en Afrique et plus particulièrement dans la civilisation égyptienne noire, qui inspirera les civilisations suivantes grecque, romaine etc..
En remontant l’histoire de la perruque on se rend compte qu’elle a été inventée il y a plus de 5000 ans, bien longtemps avant le choc de culture africain et européen, entendez esclavage, colonisation et post colonisation.
La perruque est définie par les auteurs Molé et Coll comme une « chevelure artificielle » et comme un « cheveu d’appoint » par la sociologue Juliette Smeralda. L’intérêt dans cet article étant d’étudier la symbolique et l’histoire de la perruque, c’est dans un souci de globalité que le mot « perruque » englobera toutes les déclinaisons du cheveu d’appoint telles que le tissage, lace wig etc.
Cheveu Afro et Perruques : le lien évident entre l’Égypte et l’Afrique subsaharienne
D’après plusieurs ouvrages de l’Anthropologue Cheikh Anta Diop dont Nations Nègres et Culture pour n’en citer qu’un, la civilisation égyptienne était d’origine négroïde : c’était des personnes noires avec des cheveux crépus notamment. En 1974, l’UNESCO reconnait lors du colloque International du Caire, que « l’Égypte était une civilisation strictement négro-africaine, qui a pris naissance dans la région des Grands Lacs et en Afrique australe, où sont nés les premiers hommes modernes. » Les égyptiens étant la civilisation africaine la plus documentée on peut donc considérer l’histoire des perruques en Égypte comme un fondement de l’histoire des perruques dans les populations noires. Leur culture capillaire était donc inspirée et similaire aux noirs d’Afrique subsaharienne qui avaient une culture de la perruque bien développée. En témoigne les exemples suivants :
- Les Bamana au Sénégal : Ils portent des perruques faites à l’aide de fibres de sisal teint en laine noire
- Les Ngbandi en RDC : les jeunes filles nubiles avaient des coiffures de fibres végétales qui pouvaient atteindre deux mètres
- Les Kavango en Angola et Namibie : ils portaient un rajout à l’arrière du crâne et des rajouts de longue fibres de sisal
- Les Himbas de Namibie : tresses rallongées de poils animaux ou végétal
- Les Zulus d’Afrique du Sud : ils utilisaient des parures (perruques) fabriquées avec des fibres végétales et des cheveux humains.
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Au Sénégal : Les femmes portaient des perruques de tresses « djimbi et djéré » après le mariage, le même type de perruque était retrouvé en Égypte ancienne d’après Cheikh Anta Diop. Lilyan Kesteloot, spécialiste des littératures négro-africaines, insiste sur les perruques à basa de fausses tresses que portaient les Africaines. Actuellement encore, déclare-t-elle, les sénégalaises se mettent de fausses tresses. C’est une très vieille tradition. Ces perruques sont très identiques aux perruques courtes que portaient les royautés égyptiennes encore observables au British Museum.
Les valeurs capillaires des africains :
Si les cheveux afro n’étaient pas sous le joug des standards euro-centriques, seraient-il mal vu de lisser son cheveu ou de porter une perruque lisse comme le faisaient les anciennes populations africaines ?
- Chercher à avoir le cheveu lisse fait partie des habitudes précoloniales : les tresses au fil étaient utilisées pour détendre le cheveu. Les tresses simples aussi étaient faites dans le but de détendre le cheveu et éviter les nœuds. La coiffure afro en forme de boule qu’on connait aujourd’hui, n’étaient pas dans les habitudes des africains avant la rencontre avec le peuple occidental. Le cheveu était toujours tressé, couvert d’une perruque, de rajouts ou rasé.
- La malléabilité est peut être l’une des meilleures définitions de l’identité des cheveux afro, c’est une caractéristique indéniable des cheveux afro qui permettait de jouer avec les possibilités de coiffures : changer de coiffure souvent, que ce soit la longueur, la texture ou la couleur. Les perruques remplissent parfaitement le rôle de changement de coiffure sans que cela soit définitif ou à très long terme.
- Le cheveu d’appoint est vu comme un ornement capillaire : ainsi dans l’Égypte antique, les femmes qui n’étaient pas de la cour royale portaient leurs cheveux en tresses régulièrement et ornaient leurs têtes d’une perruque lors des grandes occasions.
Les noirs n’ont pas attendu d’avoir les standards de beauté euro-centriques imposés à eux pour commencer à porter des perruques, ou encore des perruques aux cheveux lisses. Les perruques sont apparues pour répondre à des besoins spécifiques.
Rôle des Perruques en Afrique :
Elles ont été inventées pour des raisons de :
- Protection : contre les rayons du soleil, permet d’aérer le crane
- Esthétique : pour cacher une calvitie, un vieillissement, mais aussi pour faire face à la mode des fronts étroit chez les Égyptiens.
- Séduction : les égyptiennes de haut rang portaient des perruques sur lesquelles elles déposaient une cône de suif (graisse animale) qui avait été imprégné de parfum de fleurs, en fondant sur la perruque le cône libérait une odeur agréable.. Les perruques étaient parfumées pour un cône de suif parfumé aux fleurs du Nil, le suif coulait en fondant se rependre sur la chevelure et visage. La perruque pouvait aussi être signe de maternité.
- Religion : certains offraient leur cheveux aux Dieux et optaient ensuite pour une perruque.
Il est intéressant de souligner aussi que la coloration des cheveux est quelque chose qui existe depuis bien longtemps chez les africains et n’est pas non plus un mimétisme d’une autre culture. Cela se faisait avec l’indigo ou le henné par exemple chez les égyptiens qui aimaient les cheveux noirs bleutés. Tandis que c’était plutôt l’ocre et l’argile chez les guinéennes. Les femmes Bidyogo de Guinée Bissau et Zulu d’Afrique du Sud optent pour la couleur ocre et rouge qui était un mélange d’argile, ocre et huile de palme.
Symbolique actuelle de la perruque :
Sans pour autant nier le fait que les perruques ramenées au gout du jour dans la communauté afro-américaine au 20èmesiècle, l’ont été suite aux problématiques d’assimilation de la population noire aux standards de beauté euro-centriques, il faut prendre conscience de l’historique et la connexion antérieur du peuple africain avec la culture de la perruque.
Les descendants des africains reproduisent instinctivement des comportements qui ont existés depuis des millénaires. Mais la dépravation de leur culture, de leur identité, a mis une pause longue de plusieurs générations à la transmission des savoirs et valeurs capillaires. Si bien qu’ils ont perpétué des habitus en leur attribuant de nouvelles raisons liées au nouveau contexte de dominant/dominés (blanc/noirs) où ils vivent dans cette ère post colonisation.
De plus, l’évolution de la perruque fait partie du consumérisme de la société, il évolue en même temps que la frénésie d’achat pour tout autre bien non indispensable. Pour conclure, la perruque est un accessoire selon Juliette Smeralda et cela fait écho à ce qu’on a pu voir dans les valeurs capillaires africaines. La perruque est un ornement, mais la façon dont-elle est utilisée par chaque individu lui confère sa symbolique propre.
Pour une meilleure compréhension, cliquez sur le lien suivant, sur le visuel sur la chronologie de la perruque dans le monde, qui parcourent les périodes majeures de l’histoire de la perruque. Cette chronologie vous donnera une vue d’ensemble de la problématique.
Sources :
Cheveux d’appoint, Juliette Smeralda, 2020
Nations Nègres et Culture, Cheikh Anta Diop, 1979
Super article merci ! La perruque femme est vraiment devenue un accessoire tendance !
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