Comme annoncé dans la fin du dernier article, il est temps de revenir sur les enjeux commerciaux, l’aspect médiatique, l’aspect historique du texturisme.

L’industrie : son influence sur la perception du cheveu parfait :

 

Commençons par l’industrie du cheveu afro qui joue un grand rôle dans la définition du cheveu idéal. Ce qu’on verra comme image sur la boite du produit pour cheveu afro qu’on achète est en général ce qu’on considère comme image parfaite du cheveu, sinon on n’achèterait pas ce produit qui promets d’aider à avoir les mêmes cheveux que le modèle sur le produit. Pendant de nombreuses années, Dark & Lovely, L’Oreal, Garnier, Dop et bien d’autres nous ont affiché des modèles aux cheveux des boucles très définies et brillantes.

Publicité dark and lovely parue dans l’année 2013.

C’était donc le but de chaque jeune fille noire ou métisse, d’avoir des cheveux sains comme le montre la pub. L’industrie quant à elle a tout intérêt à afficher un modèle de cheveu différent de celui de sa cible, pour pouvoir convaincre de l’utilité d’une gamme de plusieurs produits plutôt qu’un seul produit. Plus le résultat qu’on cherche à atteindre est loin de ce qu’on a déjà, plus on trouve ça normal d’appliquer plusieurs produits qui aideront a atteindre cette « perfection ». De cette manière l’industrie vend plus de produits, engrange plus de revenus et donc de bénéfices.

 

 

 

Le rôle des médias dans l’acceptation de sa texture :

 

Les médias de leur côté relaient ces informations et jouent un très grand rôle dans l’établissement des standards de beauté d’une société. Ce qu’on voit à la télé sera considéré comme « normal » ou même le summum de la beauté. Les noirs ou métisses qu’on peut voir à la télé, présentant le journal ou lors d’un défilé de Miss France par exemple ont des cheveux bouclés bien définis et jamais ou rarement crépus. Ce qui est en soit déjà une très grande avancée puisqu’à une époque il était impossible de voir un noir ou métisse à la télé avec des cheveux non lisses. On ne peut pas nier que la télévision par exemple fait partie de l’éducation des enfants que ce soit volontaire ou non. Ce qu’ils voient à la télé devient donc leur standard de beauté, et s’ils ne voient jamais ou rarement du cheveu crépu, ils ne le considèreront pas comme une texture « normale ».

« Publicité Garnier pour cheveux secs à frisés. »

Depuis quelques temps le terme texturisme fait le tour de la sphère YouTube. Dès le début du mouvement nappy aussi appelé mouvement du retour au naturel, la texture du cheveu a été utilisée comme un élément déterminant les produits à utiliser, et la santé du cheveu en général. Alors que finalement les critères les plus importants pour déterminer cela, sont la porosité du cheveu (sa capacité à absorber l’hydratation), son épaisseur et la densité de la chevelure.

 

Comment expliquer l’existence du Texturisme ?

 

Le texturisme est en réalité un résidu des ségrégations raciales qui ont sévit dans le monde à l’encontre des peuples noirs. Texturisme rime avec Colorisme et leurs définitions se font écho. Le colorisme est le fait de favoriser dans la communauté afro-descendante la couleur de peau la plus claire qui se rapproche des standards euro-centriques et le texturisme est le fait de favoriser dans la communauté afro-descendante le type de cheveu se rapprochant le plus des standards euro-centriques. Puisque pour être accepté dans la société, il fallait avoir des cheveux acceptables, donc lisses ou bouclés mais des boucles définies, la population afro-descendante a intégré ce critère dans sa perception de la « normalité », la « beauté ». De même pour avoir du travail, il fallait des cheveux présentables donc lisses ou avec des boucles définies. Avec le temps ces critères se sont assouplis, il est acceptable que les afro-descendants n’aient pas des cheveux lisses, mais qu’ils soient plutôt bouclés. Cependant le cheveu crépu n’entre pas encore totalement dans la « normalité » définie par les standards de la société. L’histoire nous montre que les cheveux ont toujours aussi eu une échelle d’acceptabilité. Celle -ci a été internalisée et jusque de nos jours la préférence va aux cheveux bouclés et rarement aux cheveux crépus qui sont pourtant eux aussi une manifestation normale du cheveu afro.

 

Lorsque le cheveu afro était envié :

 

Pourtant le cheveu crépu a été l’objet des convoitises à une période précise de l’histoire. Il y a d’abord eu le lissage à chaud, puis le lissage à froid par les produits chimiques, puis la boucle est revenue à la mode avec le texturiser (traduisez Assouplissant). Jusqu’à ce que la période des Civil Rights aux états unis n’arrive. Cette période a été une période de revendication de l’identité noire et le cheveu afro en était un vecteur puissant avec l’Afro. Le plus célèbre afro de cette période est celui d’Angela Davis, célèbre activiste. En même temps qu’un objet politique il devenait aussi un objet de mode : il était stylé d’avoir un afro, plus il formait une grande boule de cheveux, plus il était admirable. C’est ainsi que ceux qui avaient des cheveux bouclés et pas assez crépus pour former la boule de l’afro, se crêpaient les cheveux pour obtenir l’effet escompté. Sur les 40 premières secondes de cette vidéo on peut voir le témoignage de Kathleen Cleaver, une des premières femmes membre du Black Panther Party qui explique le cheminement du cheveu afro jusqu’aux années 60/70. Elle explique aussi les enjeux du port de l’Afro et les conséquences. Elle parle de personnes blanches qui cherchent à obtenir un afro :

 

Cette video est un documentaire Assez riche sur l’histoire du cheveu afro. Elle mérite le détour et constitue bien évidemment l’une des sources de ce blog.

Réagir face aux texturisme :

 

Cet article est fait pour rappeler que les types de cheveux restent des conceptions théoriques qui varient au gré de l’environnement. Ce sont des catégorisations qu’on ne peut pas figer, puisque par définition l’humanité évolue. Il faut éviter de se sentir piégé ou emprisonné dans une catégorie de cheveu, puisque chaque manifestation du cheveu offre ses avantages qu’il faut apprendre à mettre en avant. Enfin, il est impossible de changer de texture naturellement, puisque celle-ci est définie par la génétique. L’exception la plus répandue est la maladie : certaines maladies peuvent rendre les cheveux plus souples, mais c’est souvent une manifestation de la faiblesse du cheveu qui ne reçoit plus assez de nutriments de l’intérieur du corps.

En ce qui concerne le cheveu crépu, il ne faut pas nier sa malléabilité qui donne cette capacité à exécuter toutes sortes de formes grâce justement a cette texture. C’est un atout que possède le cheveu crépu, qu’il ne faut pas essayer de lui enlever en pointant du doigt la « course à la boucle ». Si une obsession pour la boucle existe, cela se constate plutôt individuellement que collectivement. Il n’est pas objectif de reprocher aux personnes aux cheveux crépus d’utiliser toutes les possibilités que leur offrent leurs cheveux.

Aujourd’hui le cheveu de type 4, censé être le type de cheveu le moins désirable, le plus difficile, gagne en visibilité avec des Youtubeuses qui pour beaucoup reprennent les coiffures anciennes africaines. En effet ces coiffures sont souvent parfaites pour les cheveux de type 4 et sont difficilement réalisables avec des cheveux d’un autre type. Le texturisme comme toutes autre forme de discrimination se combat en se réappropriant la culture, alors continuons de mettre en avant le cheveu crépu pour ne plus avoir de vidéos montrant une petite fille brisée car elle trouve ses cheveux crépus horribles.