L’apparition des techniques de lissage sophistiquées et invasives du cheveu afro qu’on connait aujourd’hui, a été motivée par une dépréciation du cheveu. Cette dépréciation était la suite logique de la diabolisation du cheveu afro durant les contacts des deux cultures européenne et africaine.
Comme mentionné dans les précédents articles, les cheveux en Afrique étaient identité, symbole et communication. De la rencontre des cultures européenne et africaine va résulter une culture dominante qui va vite imposer ses standards à la culture dominée. C’est de cette rencontre que va naitre la diabolisation du cheveu afro via le dénigrement du cheveu par les européens et la dépréciation à l’intérieur même de la communauté africaine restée en Afrique mais aussi celle déportée dans les Amériques et les Antilles.
Cet article va se concentrer sur l’exemple des afro-américains puisque c’est celui qui possède une documentation plus ou moins fournie. De plus nous verrons plus tard que le modèle Afro-américain est celui qui se répandra dans le monde entier à cause de la médiatisation. Ce qui n’empêchera pas de mentionner les autres communautés noires lorsque l’information est disponible.
De l’amour du cheveu au rejet
Après avoir rasé la tête des esclaves et fixé leur prix en fonction du caractère foncé de la peau puis le caractère crépu du cheveu, les propriétaires d’esclaves exigeront aux esclaves de garder leurs cheveux « impeccables » et « arrangés » sous peine de châtiments. C’est de là que vont apparaître le port du foulard sur la tête pour cacher les cheveux non coiffés.
Si les cheveux des esclaves n’étaient pas coiffés, c’était par manque de temps mais surtout par manque d’outils. Dans l’ouvrage du Dr Willie L. Morrow 400 years without a comb : the untold story, paru en 1990, l’auteur fait état des conséquences de l’absence du peigne africain pour les esclaves et leurs descendants. Il y décrit ce peigne comme ergonomique, puisqu’il avait des dents lisses comme du satin et assez dures pour démêler la texture du cheveu afro. Il était fait de bois dur, de l’ébène notamment avec les bouts de dents arrondis pour ne pas agresser le cuir chevelu. Avec son poignet adapté à la forme de la main, il n’était pas seulement un objet pratique. Il y avait des messages inscrits sur chaque peigne, concernant la spiritualité, la fertilité, l’amour…Ces peignes étaient souvent offerts par des hommes, aux femmes. On comprend bien que le simple manque de ce peigne ait créé un déséquilibre. Les esclaves ne savaient plus quels outils utiliser pour coiffer leur chevelure. Le manque des huiles de palme ou graisses animales qu’ils utilisaient aussi a aider à la perte de repères sur le plan capillaire.
Malgré cette perte de repères, le cheveu est resté un élément important car il a grandement servi dans la quête de liberté des esclaves. Sur le site du Washington Post une descendante d’esclave afro-colombienne, Ziomara Asprilla Garcia, raconte comment les tresses plaquées appelées cornrows, étaient utilisées pour communiquer entre esclaves sans que les maîtres d’esclaves ne s’en rendent compte. Ils se donnaient notamment des signaux pour indiquer la prochaine tentative d’évasion. Selon cette même personne, c’était le rôle de certaines matriarches désignées, de porter ces coiffures indicatrices. De plus, les cornrows servaient à garder des réserves de grains de riz et de pépites d’or à l’intérieur de la tresse. Cela leur servirait lorsqu’ils seraient libres pour pouvoir planter les grains de riz et avoir à manger sur leurs nouveaux territoires. L’or servait bien-sûr de richesse, monnaie d’échange universelle, pour pouvoir s’acheter du nécessaire.
Ces informations relèvent de la transmission orale, de ce fait il n’y a aucune confirmation que ces informations soient véridiques, totalement ou partiellement. Cependant, on peut facilement imaginer qu’il était préférable de taire ces pratiques à l’époque.
Pourquoi le cheveu afro est-il déprécié : Une réponse scientifique
A travers la sociologie, on peut expliquer la continuité de la dépréciation du cheveu afro pendant des siècles. C’est ce que fait Juliette Sméralda dans son ouvrage Du cheveu défrisé au cheveu crépu, publié en 2012. Après avoir internalisé la haine de leurs cheveux qu’ils ne savaient plus coiffer et qui définissait leur valeur pécuniaire durant l’esclavage, les afro-américains ne vont pas changer d’état d’esprit lorsqu’ils seront libres de l’esclavage. Les premiers esclaves ont subi ce qu’on appelle l’aliénation : une perte de repère et d’identité. Ils l’ont ensuite transmise à leurs enfants qui ont été les premières victimes de la haine du cheveu afro. Si on se réfère à la théorie de l’habitus de Pierre Bourdieu, sociologue, l’enfant esclave a donc intégré la haine de soi, de son cheveu, comme structure dans son développement. Il la transmettra ensuite à sa descendance. On peut aussi appliquer ces théories aux Antilles, ou en Afrique, où la dépréciation du cheveu a bien existé et a été transmise jusqu’aujourd’hui. Ces théories, bien que contenant des termes compliqués et abstraits pour la plupart des gens, expliquent de manière scientifique qu’il y a bien une raison pour laquelle le défrisage par exemple a continué à être utilisé, malgré que personne ne force littéralement une personne noire à se défriser. Pour ceux qui souhaitent approfondir cette partie, je vous conseille vivement l’ouvrage Du cheveu défrisé au cheveu crépu de Juliette Sméralda.
Pendant l’esclavage et juste avant la création des techniques de lissage plus avancées, les noirs utilisaient des graisses telles que celles qu’on utilisait pour les mécanismes de roues ou simplement de la graisse que dégage le bacon lorsqu’il cuit. Certains utilisaient le fer à repasser pour lisser leurs cheveux sur une table à repassage ou surface plane. Soit, ils lissaient leurs cheveux, soit ils les gardaient sous un foulard.
Madam CJ Walker & Annie Turnbo Malone : Pionnières de l’industrie
Selon Dr Willie L. Morrow, les techniques de dépigmentation et de défrisage du cheveu que les afro-américains développeront et utiliseront dès la fin du 19ème siècle auront pour but de restaurer leur dignité. C’est là qu’interviennent Annie Turnbo Malone et Madam CJ Walker, les pionnières de l’industrie capillaire afro-américaine. C’est Annie Turnbo Malone qui lance les premiers produits de soin pour cheveux afro, car elle n’était pas satisfaite de ce qui existait et de plus elle avait étudié la Chimie. Elle a créé le Wonderful Hair Grower, qu’elle fera vendre par des vendeuses en porte à porte. C’est de là qu’elle embauchera aussi Sarah Breedlove qui deviendra plus tard Madam CJ Walker. Cette dernière créera ses propres produits et ouvrira ses propres salons. Certains l’accusent d’avoir volé la formule d’Annie, mais cela n’a jamais été prouvé. Madam CJ Walker bénéficiera d’une notoriété plus grande et il y aura carrément une méthode de coiffure à son nom : la « Walker Method ». Cette methode consistait à utiliser sa pommade « Glossine » sur un cheveu lavé, avant d’utiliser le « Hot Comb », traduisez peigne chaud, pour lisser le cheveu. Madam CJ est souvent créditée pour la création du Hot comb, mais il aurait plutôt été créé par le Français Marcel Grateau. Cette dernière version est reprise dans plusieurs sites, mais n’est pas confirmée. En effet, Marcel Grateau n’a déposé un brevet que pour un fer à onduler et non pour le peigne chaud qui lisse. Il est important de préciser que Madam CJ Walker et Annie Malone ne vendaient pas des produits défrisants, c’étaient des produits qui servaient à faciliter le coiffage.
La série Self Made récemment sortie sur la plateforme Netflix et inspirée de la vie de Madam CJ Walker, donne un aperçu de la femme d’affaire redoutable qu’elle était. Cependant il faut souligner que la série véhicule des informations qui ont été modulées pour la convenance du scénario, ce qui reste dangereux pour le public qui ne découvre l’histoire du cheveu afro qu’à travers cette œuvre. En effet pour valoriser Madam CJ Walker, on a terni l’image d’Annie Turnbo Malone en utilisant le colorisme comme conflit. La seule chose qui se rapporte au colorisme dans la véritable histoire d’Annie Malone, est le fait qu’elle ait utilisé pour ses publicités, des images de femmes métissées à la couleur de peau claire et aux cheveux ondulés, brillants. Libre à chacun de juger si c’était du colorisme ou une technique de marketing. Les deux femmes ont beaucoup apporté à la communauté afro-américaine, en grandes philanthropes qu’elles étaient, elles ont on fait plusieurs donations et ouvert des établissements de formation. Pour se faire son propre avis, rien de mieux que des lectures d’autobiographies, mais il y a d’autres alternatives moins longues. Sur YouTube, je vous suggère de regarder la critique de la chaine YouTube ‘Grandeur Noire’ au sujet de cette série, mais aussi celle de ‘For Harriet’ pour ceux qui comprennent l’anglais.
Les Universités pour noirs n’acceptaient que les peaux claires et cheveux lisses ?
La société dans laquelle vivait les afro-américains les poussaient à lisser leurs cheveux pour être acceptables, trouver du travail et ne pas subir de moqueries racistes. Plus on avait une apparence qui s’accordent aux standards de beauté euro-centriques, plus on avait de chances de trouver du travail. Cette valorisation par la couleur de peau et texture du cheveu était donc interne aux noirs eux même qui se discriminaient dans les églises avec le « comb test » (voir article Nappy : ça veut dire ?), mais aussi dans les universités. Dans les universités pour noirs, on estimait en 1916 qu’elles étaient à 80% fréquentées par des personnes de couleur de peau claires issus du métissage. A l’intérieur des universités même le temps de loisir était teinté de cette discrimination par le cheveu et la peau. Il y avait ce qu’on appelait la « color tax » qui consistait à payer un montant en plus lorsqu’un homme venait à une soirée, accompagné d’une fille à la peau noire et non claire. Certaines sororités et fraternités étaient constituées seulement de personnes claires de peau ayant des cheveux lisses ou soyeux. Elles étaient alors réputées « good hair » sorority/fraternity. Ces universités existent encore de nos jours, ce sont les HBCU : Historically Black Colleges & Universities
A cette même époque va apparaître le Jazz qui va légitimer la présence des noirs dans les espaces publics, donc ils se devaient d’être présentables, ce qui implique des cheveux lisses et brillants, lorsqu’ils se produisaient dans des bars. C’est autant de raisons qui ont fait fleurir le marché du soin capillaire afro-américain.
Du défrisant à chaud, au défrisant à froid : premiers défrisants chimiques
Les premiers défrisants chimiques à froid étaient composés de soude, potasse, pomme de terre et œuf. Ils servaient à réaliser la coiffure masculine hautement populaire des années 1930 et 1940 : Le conk. C’était une des coiffures prédominantes pour ceux qui se produisaient en public pour le Jazz notamment mais aussi certains activistes comme Malcolm X qui raconte cette douloureuse pratique dans sa biographie. Il a par la suite abandonné la coiffure en disant qu’elle constituait un rejet de son identité noire. Beaucoup d’hommes ont adopté le conk à l’époque. Bien plus tard, arrivera le « Texturizer » qui assouplit les cheveux sans le rendre complètement lisse. C’est pour dire que les hommes malgré qu’ils soient moins mentionnés, n’étaient pas moins concernés par ces problèmes capillaires et identitaires.
C’est ainsi qu’il est devenu normal et même presqu’implicitement obligatoire de se lisser les cheveux. Plus tard dans les années 60 les défrisants que l’on connait aujourd’hui apparaîtront, suivis par la fameuse coiffure afro et politique symbolisée par Angela Davis. Vous pouvez visualiser cela sur la page Histoire. En attendant n’hésitez pas à réagir, poser des questions ou juste donner vos avis, ici, sur les pages Instagram, Facebook et Twitter du blog !
Rétroliens/Pings